Etape 68 - Mauthausen - Retour vers mon passé familial
Mardi 11 juillet 2017. C'est avec les jambes tremblantes, la gorge sèche et nouée que je me présente à présent à l'entrée de l'ancien camp de la mort de Mauthausen. Le camp où mon père a été libéré par les Américains. Le camp où mon père a été forcé de placer des corps dans les fours crématoires. Le camp de tous ses cauchemars. Le camp de tous nos cauchemars, moi, mes soeurs et mon frère. Les camps. C'est étrange de le dire ici car je n'y avais jamais pensé avant, mais je crois bien que ce camp fait partie intégrale de mon être, de ce que je suis et de ce que j'ai fait pendant toute ma vie, qu'il fut et qu'il reste l'un des fondements de ma personne. Le camp de Mauthausen et le camp de Dora. Papa.

Enfin, j'y suis. A l'entrée, j'ai peine encore à parler, à simplement adresser la parole au guide qui me reçoit. Une Belge devant moi qui a vécu la même aventure me dévisage. On a tous une raison d'être ici. On ne vient jamais par hasard dans un camp. Jamais. Les deux mètres qui me séparent du guichet sont un fossé. J'explique à l'agent que mon père a été retenu ici, que j'aimerais en savoir plus sur son internement... Il m'explique que je dois me rendre au service de documentation installé dans l'enceinte du camp. Je ne sais pas si j'aurai la force. Aujourd'hui encore, j'ai la carte qu'il m'a donné sous les yeux. J'ai tellement peur de découvrir ce qui se cache derrière. Qui étais-tu, papa ? Qui étais-tu ? Qu'as-tu fait pour te retrouver ici ? Qui t'a permis de survivre à cet enfer ? Qu'as-tu fais pour survivre ? Qu'as-tu vécu ici ? Je n'ai pas de réponses, et je ne sais pas s'il est bon que je sache. Mais je voulais voir. Je voulais comprendre les mots que tu disais, les bouts de phrases que tu lançais, les bribes de cauchemars qui hurlaient dans la nuit de mon enfance. Mauthausen. Je ne sais plus quoi dire.

La longue suite des baraquements. A droite de l'entrée, pas une minute pour respirer. Le bâtiment de la mort. Un petit escalier menait au sous-sol. Pour un grand nombre des détenus qui descendaient ici, c'était la mort assurée.


Au sous-sol, le crématoire, et dans le prolongement, les douches ou plus de 5.000 détenus furent gazés au zyclon B.

As-tu vu ça, papa ? As-tu vu ça ? Mes jambes ont peine à me porter. La nausée me prend. Je ne peux pas rester là. Impossible. Je sors.

Dehors, je me retrouve en plein milieu de la cour principale. C'est ici que se déroulait l'appel le matin. Papa m'en a si souvent parlé. Des heures interminables à patienter dans le froid et la faim. Des fois, les nazis aspergeaient les prisonniers d'eau glaciale en plein hiver en leur interdisant de bouger. La mort assurée.

Ainsi, voilà les baraquements. Combien de lits ici, combien de paillasses ? Combien de morts-vivants ? Je ne peux pas m'empêcher de penser à toi, papa. Etais-tu là ? As-tu dormi ici ? As-tu seulement dormi ? Où étais-tu ? T'es-tu lavé ici ? T'es-tu aspergé d'eau en un instant avant de sortir pour l'appel, ou avant de dormir ? Dans quel coin de cette pièce, t'es-tu tenu ? Je n'ai que des interrogations. Dans ma tête, j'en ai des milliers.

Je ressors encore. Je respire mieux à l'air libre. A droite s'étirent tous les bâtiments asministratifs de la machine nazie.


Et tout au bout du camp, derrière les baraquements SS, l'enfer... Le chemin qui menait aux fours crématoires... Papa. Je sais que tu étais là. Mon dieu.



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